Les Kinder-surprises, les pochettes-surprises, les cadeaux d’anniversaire, les cadeaux de non-anniversaire, les ingrédients secrets dans les cakes (« C’est du parmesan? – Non! – Du gingembre? – Non! – De l’aneth? – Non, tu brûles… – OH PUTAIN C’EST DE L’ORTIE! Trop ouf. »), bref, je suis bon public pour les trucs-qu’on-me-donne-sans-qu’on-me dise-ce-que-c’est.
Et une surprise facile à se faire, c’est de commander un truc sur internet. Aaaah, attention! Pas sur un site classique et efficace de vente de livres, DVDs et CDs ou de crème hydratante, parfum ou bain moussant verveine-citron. Non. Un site artisanal qui t’envoie ton colis TROIS mois après, comme ça tu as complètement oublié que tu avais commandé. Ce qui fait que, découvrant un avis de passage du facteur dans ta boîte aux lettres, tu as ce petit coup d’adrénaline… serait-ce un admirateur secret, m’offrant une parure Darjelanza? ma grand-tante, voulant me régaler de trois pots de confiture maison? moi, qui, bourrée après une soirée où il y avait peu de godelureau à se mettre sous la dent, aurait finalement, sous l’effet de l’alcool et de la frustration, craqué et acheté le dernier rabbit éco-responsable à panneaux solaires?
Ce n’est donc pas sans une certaine allégresse que je me dirigeai vers le bureau de poste de mon quartier.
Mes sautillements d’allégresse s’arrêtèrent à la porte, entre le ficus et le spathiphyllum.
(Je suppose que vous connaissiez la physionomie d’un ficus, ceci est donc un spécimen de spathiphyllum.)
Mon bureau de poste a le don de me plonger dans un état de perplexité à chaque fois que je franchis son seuil. Pas parce qu’il s’est doté depuis un certain temps de divers produits dérivés qui ne me semblent pas correspondre à l’esprit de l’institution (oui, bon, ok, j’ai compris que le temps des P.T.T. était révolu et qu’on était entrés dans l’ère de Global Poste Company Incorporated), mais parce que ses usagers font la queue à bien DEUX METRES CINQUANTE de la personne qui est en train de passer.
Et pourquoi?
Parce que, par terre, court un cache de fil électriques qui traverse la pièce en diagonale, et que, sûrement par réflexe pavlovien, ils le prennent pour une ligne-à-ne-pas-dépasser.
C’est pas clair?
Bon, ok, je vous ai fait un croquis.
Vous voyez la ligne transversale?
C’est un sale cache fil en plastique moche.
Eh ben les gens de mon quartier, ils prennent ça pour ça:
(Bon, les tongs, c’est une option seulement, on peut tout aussi bien attendre sagement en Louboutins, hein, chacun son style.)
Donc voilà, dans mon quartier, les gens sont tellement disciplinés qu’il vont au-delà d’attendre derrière la ligne rouge, telles les masses immigrantes à JFK avant qu’on leur demande pourquoi ils sont là, jusqu’à quand, qu’on leur relève leurs empreintes, qu’on les prenne en photo et qu’on les fasse reniffler par un pitbull – nan. J’ai trouvé plus fort : mes co-quartenaires sont tellement maladivement disciplinés qu’ils lisent une règle de conduite dans une ligne de mastic tout aussi tranversale qu’arbitraire.
Au début, je me suis dit qu’il devait y avoir une institution spécialisée dans les TOCS, TICS et autres troubles compulsifs dans le coin. Ou un orphelinat suisse-allemand.
Cela dit, ça ne m’énerve pas plus que ça, parce que, dans leur absolu respect des conventions, mes voisins-dans-un-rayon-plusieurs-rues forment une file unique, même s’il y a deux guichets. Ce qui fait que je choisis TOUJOURS la bonne fille. C’est pas comme chez Monop, par exemple, ou, moi et mon pot de 1kg de fromage blanc, on louche sur l’autre file, on hésite, et on craque, juste avant de se rendre compte que le trentenaire au bouc innocent derrière lequel on s’est désormais parqués cachait en lui un père de famille prévoyant et, dans son caddy urbain orange-rave-party, de quoi tenir le siège de Francfort de 876.
Au lieu de me maudire pour mes mauvais instincts queutiers, donc, je tue le temps en essayant de deviner quel guichet va se libérer en premier.
Voici la configuration du jour.
(PS: cette image n’a rien à voir, mais elle m’a traversé l’esprit.)
Au guichet, donc, deux femmes d’un certain âge. Appelons celle de gauche « Femme-d’un-certain-âge numéro un », et celle de droite, euh… je sais pas… disons, « Femme-d’un-certain-âge numéro deux », tiens, ça sonne bien. Avec moi dans la file unique derrière la ligne de mastic, une jeune fille en converses.
Ca a plutôt l’air bien parti à gauche, vu que Femme-d’un-certain-âge numéro un envoie un colis. Cependant, le paquet en question est cubique et de taille modeste, ce qui remplit la postière d’angoisse parce que
Y a pas assez de place pour coller l’étiquette.
Elle essaie sur un côté. Elle essaie sur un autre. Manifestement, le concept du cube lui donne quelques difficultés. Je me retiens de hurler DIAGONALE, parce que parfois, les gens n’aiment pas qu’on les assiste. Donc je souffle, je me dis que c’est un bel exercice de contrôle de soi. Je tente un oooooooooommmmm discret pour voir si mes chakras vibrent.
Cela dit, la fleur de lotus qui est en moi est mise à mal par les manipulations frénétiques de l’employée, combinées aux doutes grandissants de la cliente sur la nécessité ou non d’un envoi en recommandé.
Je décide donc de détourner mon regard et de m’intéresser au guichet de droite où Femme-d’un-certain-âge numéro deux papote avec la postière.
Or, avec ces histoires de cubes et d’étiquettes, ont eu le temps d’arriver derrière moi cinq autres personnes, qui, à cause du cordon de sécurité imaginaire en mastic, sont obligées de se presser entre moi, la table présentoir à brochures sur les crédits à 4%, le store plein de poussière, le spathiphyllum et la porte, au risque de tomber dans le ficus (vous suivez?).
Je me retourne pour lancer un regard d’empathie à mes camarades de misère. Il y en a un qui me sourit avec un air désespéré et complice, comme pour me dire, « à trois, fais diversion pendant que je les assomme avec le ficus ». Les autres ont opté soit pour l’auto-hypnose assistée par iPhone, soit pour la contemplation des tarifs des envois d’une lettre de plus de 20 grammes en zone monde.
« Ah oui ! Ca faisait longtemps qu’on vous avait pas vu, Madame Schtroumphberger !
(Et moi je pense: « Schtroumphberger… Schtroumphberger… pourquoi ce nom m’évoque-t-il un truc bleu avec un bonnet, un bâton et un gilet en peau de mouton? » Puis je me replonge dans les possibilités d’emprunt à taux réduit pour les propriétaires d’un meublé de moins de 45m2.)
– C’est vrai ! Mais là j’avais de quoi vous faire travailler : je viens de recevoir les pétitions contre la torture et la circoncision !
– Ah, ben ça fait plaisir !…euh, pas la circoncision, hein: de vous revoir, je veux dire ! »
Et là elle achète des timbres.
…
Bon, vu votre manque de réactions, je ne crois pas que vous saisissiez la portée de cette affirmation et toute sa résonnace apocalyptique, voire a-poste-calyptique.
Car Mme Schtroumpberger renvoie toutes les pétitions d’Amnesty International aux premiers ministres de Turquie, d’Israel, des Pays-Bas, d’Allemagne, de Russie, j’en passe et des pas reconnus par l’ONU. C’est pas comme si elle pouvait juste acheter un carnet, et hue, Jacqueline. Nan : cela nécessite l’achat d’un timbre par lettre OU carte postale, et chacun se trouve dans une pochette en plastique différente du classeur de la postière.
Et cette perverse de guichetière encourage la retraitée férue de démocratie planétaire dans son vice.
« Vous voulez la Marianne ou je vous mets un timbre G20 ?
– Oh… je ne sais pas… Vous croyez qu’il vaut mieux quoi quand on écrit à un ministre ouzbek ?
– Mhmmm… Peut-être que la Marianne, ça fait plus formel.
– Oui… euh… Je ne sais pas s’il saisira… Vous n’avez pas des timbres avec des chatons ?
Wonder blémit et commence un ulcère.
– Non, mais j’ai des timbres avec des azalées.
Wonder fait le cheval avec sa bouche.
– Ah oui ! La dernière fois j’avais pris une série avec des primevères ! Mettez-m’en deux plaques de dix !
– Voilà, Madame, ça fera…
– Oh la, vous allez me vider ma tirelire, n’est-ce pas ?
Si tu veux Wonder te vide les entrailles, avec les dents.
– Surtout que là, je ne sais pas si j’ai assez de monnaie.
– Vous pouvez payer en carte bleue, madame.
– Ah mais je ne l’ai pas sur moi.
– C’est 27 euros 37 centimes.
– Ah bah, c’est cher, mais ça le vaut bien. Avant, la justice marchait mieux: il y avait le bagne pour les gens de cette espèce. Maintenant, ils font ce qu’ils veulent.
****
Le bagne,
solution numéro 1 aux violations contre les droits de l’homme, approuvée par 75% des militants d’Amnesty International de mon quartier.
***
Et là, Schtroumpf-bergère entreprend de payer en pièces de 50, 20, 10, 5, 2 centimes d’euro.
Pendant ce temps, le guichet qu’occupait Femme-d’un-certain-âge numéro un se libère après moult contorsions et l’envoi final du paquet. C’est donc mon tour.
Je fais un pas vers la postière, le sourire béat de la cliente patiente enfin récompensée pour son zen impérial aux lèvres, et je manque de m’écraser sur le guichet tant mes jambes sont enkilosées par l’attente. Mme Schtroumpberger, qui entre temps a fini d’aligner ses pièces, remarque mon oscillation, et en profite pour glisser à la postière,
« Ben dites-moi, il y en a qui commencent le Picon tôt! » Puis elle salue l’assistance et quitte le bureau avec ses munitions anti-violation des droits de l’homme, avant même que j’aie le temps de lui faire avaler ses espadrilles.
Je me reprends.
« Voilà! » – dis-je guillerette en déposant fièrement mon avis de passage sur le guichet.
« Un moment je vous prie. » La postière disparaît dans l’arrière-boutique.
Ou pas.
Je la vois soudain froncer les sourcils et tourner les talons.
« – On l’a pas.
– Comment ça vous l’avez pas?
(Mais où est donc alors mon rabbit à panneaux solaires, Madame??)
– On l’a déposé chez vos voisins en votre absence.
– Mes voisins? Quels voisins?
– Vous n’avez pas vu, là? C’est écrit en toutes lettres : déposé chez M. et Mme Schtroumfberger. Ce sont vos voisins qui ont gentiment gardé votre paquet pour vous ! Vous en avez de la chance! »
Your Wonderness